En repoussant les frontières des outils traditionnels, l’Insee a inauguré une nouvelle ère d’analyse avec la publication, fin 2024, des premiers comptes nationaux « augmentés ». Cette innovation vise à appréhender d’un même tenant l’activité économique, ses conséquences pour le dérèglement climatique et la répartition des revenus des ménages, et ainsi corriger les limites couramment exprimées à l’égard du Produit intérieur brut (PIB).
Un travail important a abouti à la mise à disposition de façon pérenne d’indicateurs sur la redistribution des revenus et les flux de carbone. Ensuite, à titre exploratoire, l’Insee a également proposé de premiers indicateurs synthétiques, intégrant notamment les impacts climatiques liés aux émissions de gaz à effet de serre (GES).
Ces travaux ont été au cœur de la Conférence des acteurs de la statistique européenne, organisée à Paris en octobre avec le soutien des équipes de l’Insee et de la Banque de France. Alors, que nous ont appris ces nouveaux comptes sur l’état de l’économie, de la société et de l’environnement ? En 2022, 57 % des ménages ont bénéficié de la redistribution dite élargie, c’est-à-dire incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics « valorisés » ; sur le plan climatique, les évolutions des intensités carbone des grands agrégats économiques (PIB, importations, etc.) sont en général en baisse, mais avec des évolutions contrastées : les intensités carbone du PIB et des importations diminuent, et les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 31 % depuis 1990. Cependant, l’empreinte carbone, incluant les importations, n’a reculé que de 13 %.
Des résultats expérimentaux ont mis en lumière des signaux d’alerte, comme l’évaluation de la production intérieure nette, ajustée du coût des émissions de gaz à effet de serre, inférieure de 4 % à la mesure habituelle, ou encore l’estimation d’une épargne nette ajustée devenant négative une fois les coûts environnementaux pris en compte et signalant un manque de soutenabilité.
Ces nouveaux outils offrent des perspectives inédites pour guider les politiques publiques, en tenant compte des transformations nécessaires à la transition écologique et sociale.
PAUL SCHREYER,
DIRECTEUR DES ENTREPRISES ET DE LA RECHERCHE À L’ESCOE ET ANCIEN CHEF STATISTICIEN À L’OCDE
L’Insee est l’un des leaders parmi les offices statistiques en termes de production de comptes augmentés. Les comptes développés en France sont proches des dimensions essentielles du bien-être matériel et des questions environnementales - vaste champ qui couvre des secteurs tels que le tourisme, la santé ou des domaines tels que les émissions atmosphériques.
J’en vois trois : Flexibilité et pertinence - les comptes augmentés permettent d’aborder et approfondir la mesure des champs qui sont particulièrement pertinents pour un pays.
Détail - les comptes augmentés apportent une contribution significative à l’analyse économique en fournissant des informations plus détaillées que les comptes standards.
Cohérence - les comptes augmentés permettent de relier les variables collectées pour un domaine à d’autres variables de manière cohérente et comparable. Par exemple, le Tableau Entrées-Sorties, combiné avec les comptes d’émissions atmosphériques, permet d’analyser le contenu en gaz à effet de serre des importations, ce qui aide à estimer les émissions indirectes dues à la consommation en France de produits fabriqués à l’étranger.
Il existe une énorme production de services par les ménages, allant du temps consacré à l’éducation des enfants au soin à domicile des parents malades, notamment ceux souffrant de maladies de longue durée comme la démence. Ces activités, qui se situent en dehors du PIB, mériteraient des comptes augmentés. Le Système de comptabilité nationale récemment révisé fournit le cadre pour un tel compte, assurant ainsi une comparabilité internationale.